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Une histoire qu’on nie. Une histoire qu’on a choisie d’oublier. Une histoire qui tourmente et qui consacre des omissions et qui engendre des commissions actuellement ailleurs. Une histoire qui ne nous colle pas aux pieds. Une histoire dont le souvenir oblige des et des … et dont les trames bouleversent au-delà de l’indifférence et de la négation. Une histoire humaine. Celle de peuples autochtones. Population, territoire, environnement. Organisation, sol et sous-sol. Celle de l’ile d’Haïti. Totalement avant 1492. Celle des Taïnos et des Ciboneys, des Arawaks et des Caraïbes. Celle juste après 1492. Le temps du début des bandits légaux.

Cette histoire, MètFélixLUCl’enseignait. Eloquemment. Verbalement. Gestuellement. Passionnément. Au point de voir et de revoir : courir et chasser, boucaner et tisser, piroguer et explorer, se reposer et se baigner … jamais se quereller et se battre, en fait … vivre ces « peaux rouges » que l’Europe a terrorisées, éliminées, décimées, égrappées au rythme de sa concupiscence de biens faciles, aux cadences de les appauvrir et de les brutaliser  et de rendre leur force physique une responsabilité de ces bras noirs que l’esclavage, indigne et méchant, aura charriés vers un chantier toujours en exploitation … en 2015.FB_IMG_14512712854741355

Mèt Fe! Il a écrit sa propre histoire. En presque 70 ans de vie. Né le 04 janvier 1945 àJérémie, avant la fête des rois et décédé le 22 décembre 2015 à Port-au-Prince, avant la saison des fêtes de fin d’année et du nouvel an, Mèt Fea marqué sa joie de vivre et son goût d’attention au monde …passé, présent et futur. Sa succulence de l’histoire.

En préadolescence, personnellement j’ai connu le professeur comme jeune adulte. Eloquent. Vocabulaire français riche, constant, coulant et toujours à-propos. Mèt Feavait de quoi séduire ses classes. Un savoir abondant. Inépuisable. Il avait cette réputation d’être « fort ». Nous avons prétendu, à l’instar de nos renommées aux cents vols, de nos légendes urbaines queMèt Fe« ap kraze diksyonè a pakè», le Larousse du temps … pour mieux nous instruire.

Mèt Fevoulait des fils et des filles de l’arrière-pays habilesque Port-au-Prince sera dans l’obligation de ne pas nier. Il voulait une jeunesse dynamique, studieuse et assidue. Et, en chaque élève, il voyait un Cicéron, un Cambyse II, un Cacique Henri, une Anacaona, un Chef. Il percevait une volonté et une force de se lamenter et surtout de se révolter ; une voix de crier « Aya bonbe » et de se battre ; une puissance de rassembler des énergies et de semer des déterminations. Il savait êtreun maître, un

enseignant et une personne.

Maître, Mèt Feavait des élèves. Il avait des étudiants et des étudiantes.Mètre, il pouvait servir d’étalon dans une inspiration  «d’être à ses bêtes. »

En classe, chacun a ses expériences avec lui. Noir. Beau. Intelligent. Parleur. Pétillant et abondant, il exigeait de l’ « en-face » un langage intelligent. Son prétoire était des chaires.

Mèt Feétait courtois. On dira qu’il a aimé des femmes. On dira qu’il a quelques enfants. On dira qu’il avait un mot aimable pour tous et pour toutes. Sans égard de rien. Il a été lui-même. Citoyen. Politicien platonicien. Député sous Jean-Claude.

Mèt Feétait franc. Narquois. Intrépide. Les semi-intellectuels, les semi-analphabètes, parfaitement piètresà ses yeux étaientà la barre, toutes positions confondues, « ces poubelles que Port-au-Prince envoyait àJérémie pour les dorer et les nettoyer et qui ne brilleront jamais. » Tranchant. Pour lui, « ces avocaillons, ces mercenaires de la basoche » faisaient pitié dans une mine de rien et de pauvres misérables. Un peu trop crâne.

Mèt Fen’a pas vu. Il n’a pas vu et n’a pas vu. Il a enseignéà voir. Il a rêvé, rêvé et rêvé. Il imposait rêve comme moyen d’exister. Il a vécu, vécu et vécu. Quotidiens brulants et journées paisibles. La vie était pour lui combat. L’intellectualité en était une arme redoutable.

Mèt Fe n’aura pas vu, pas perçu et pas discerné. Il a été lucide toute sa vie. L’histoire n’a pas complété sous ses yeux des pans. Il a lâché les amarres vers des rives que son espérance commandait. Le temps le portait à larguer et àcarguer les voiles vers ces horizons. Il aura encore instruit. L’humilité. La finitude. La résilience. La gratitude : en fait, une reconnaissance de ses proches qu’il a transformée en bénédiction.

Mèt Fea salué. Il a quitté. Son public. Un héritage. Nous nous courbons pour encenser cet au revoir et admettre à suppléer comme nous savons.

Michel Riquet DORIMAIN, MTh., M. A.

Le 26 décembre 2015